Dans un monde confronté aux enjeux climatiques et de sécurité alimentaire, le droit fondamental à l’alimentation se heurte aux impératifs de durabilité. Comment concilier ces exigences pour nourrir 9 milliards d’êtres humains en 2050 ? Examinons les enjeux juridiques et pratiques de cette équation complexe.
Le droit à l’alimentation : un principe juridique en quête d’effectivité
Le droit à l’alimentation est reconnu comme un droit humain fondamental par le droit international. L’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 stipule que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation ». Ce droit a été réaffirmé et précisé dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966.
Malgré cette reconnaissance, la mise en œuvre effective du droit à l’alimentation reste un défi majeur. Selon la FAO, près de 690 millions de personnes souffraient de la faim en 2019. La crise sanitaire du Covid-19 a encore aggravé cette situation. Les États peinent à traduire leurs engagements internationaux en politiques publiques efficaces pour garantir l’accès de tous à une alimentation suffisante et de qualité.
Vers des systèmes alimentaires durables : une nécessité écologique et sociale
Face à l’urgence climatique et à l’épuisement des ressources naturelles, la transition vers des systèmes alimentaires durables s’impose comme une nécessité. L’agriculture intensive est responsable de 24% des émissions de gaz à effet de serre et contribue à la déforestation et à l’érosion de la biodiversité. Le modèle agro-industriel dominant montre ses limites tant sur le plan environnemental que social.
Les Objectifs de développement durable (ODD) adoptés par l’ONU en 2015 visent à promouvoir une agriculture et une alimentation durables (ODD 2). Cela implique de repenser l’ensemble de la chaîne alimentaire, de la production à la consommation, en passant par la transformation et la distribution. L’enjeu est de concilier sécurité alimentaire, préservation des écosystèmes et justice sociale.
Les défis juridiques de la transition alimentaire
La mise en place de systèmes alimentaires durables soulève de nombreux défis juridiques. Il s’agit notamment de :
– Réformer le droit foncier pour favoriser l’accès à la terre des petits producteurs et protéger les communautés locales face à l’accaparement des terres.
– Adapter le droit de la propriété intellectuelle pour préserver la biodiversité cultivée et les savoirs traditionnels face aux brevets sur le vivant.
– Renforcer la régulation des marchés agricoles pour lutter contre la volatilité des prix et garantir une rémunération juste des producteurs.
– Encadrer les pratiques des multinationales de l’agroalimentaire pour limiter leur impact environnemental et social négatif.
– Développer des normes contraignantes en matière d’agriculture biologique, d’agroécologie et de bien-être animal.
Le rôle clé des collectivités locales et de la société civile
Face aux blocages au niveau international, les collectivités locales apparaissent comme des acteurs clés de la transition alimentaire. De nombreuses villes et régions mettent en place des politiques alimentaires territoriales innovantes : soutien à l’agriculture urbaine, approvisionnement local de la restauration collective, lutte contre le gaspillage alimentaire, etc.
La société civile joue également un rôle moteur à travers des initiatives comme les AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), les jardins partagés ou les épiceries solidaires. Ces démarches citoyennes contribuent à faire émerger de nouveaux modèles alimentaires plus durables et inclusifs.
Vers un nouveau cadre juridique international ?
Pour accélérer la transition vers des systèmes alimentaires durables, certains experts plaident pour l’adoption d’une Convention-cadre des Nations unies sur les systèmes alimentaires durables. Un tel instrument juridiquement contraignant permettrait de fixer des objectifs communs et de coordonner les efforts des États.
D’autres proposent la création d’une Organisation mondiale de l’alimentation sur le modèle de l’OMS, qui aurait pour mandat de garantir la sécurité alimentaire mondiale tout en promouvant des pratiques agricoles durables.
Ces propositions se heurtent toutefois aux réticences de certains États et aux lobbies de l’agro-industrie. La COP28 qui se tiendra fin 2023 à Dubaï pourrait être l’occasion de faire avancer ces discussions au niveau international.
Le défi de nourrir durablement une population mondiale croissante tout en respectant le droit fondamental à l’alimentation appelle une refonte en profondeur de nos systèmes alimentaires. Cette transition nécessite une mobilisation de tous les acteurs et une évolution du cadre juridique, du local au global. L’avenir de notre alimentation se joue maintenant.