
Face à la menace croissante de l’accaparement des terres, les communautés locales se mobilisent pour défendre leurs droits. Quels sont les outils juridiques à leur disposition pour protéger leurs territoires ancestraux ?
Les enjeux de l’accaparement des terres
L’accaparement des terres est un phénomène mondial qui menace les droits et les moyens de subsistance de millions de personnes. Il se caractérise par l’acquisition à grande échelle de terres agricoles par des investisseurs étrangers ou nationaux, souvent au détriment des communautés locales. Ces transactions foncières massives concernent principalement les pays en développement d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.
Les motivations derrière l’accaparement des terres sont multiples : sécurité alimentaire, production de biocarburants, spéculation foncière, ou encore exploitation des ressources naturelles. Les conséquences pour les populations locales sont souvent dramatiques : expulsions forcées, perte des moyens de subsistance, destruction de l’environnement et violations des droits humains.
Le cadre juridique international
Face à cette problématique, le droit international offre un certain nombre d’instruments pour protéger les droits des communautés. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007) affirme le droit des peuples autochtones à leurs terres et ressources traditionnelles. Elle exige le consentement libre, préalable et éclairé des communautés pour tout projet affectant leurs territoires.
Les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers adoptées par la FAO en 2012 fournissent des orientations pour une gestion équitable et durable des terres. Elles mettent l’accent sur la protection des droits fonciers légitimes, y compris les droits coutumiers et informels.
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) protège indirectement les droits fonciers en garantissant le droit à un niveau de vie suffisant, à l’alimentation et au logement. La jurisprudence des organes de traités des Nations Unies a progressivement reconnu l’importance de l’accès à la terre pour la réalisation de ces droits.
Les mécanismes de protection au niveau national
Au niveau national, la protection juridique des communautés passe d’abord par la reconnaissance constitutionnelle des droits fonciers collectifs. Plusieurs pays, notamment en Amérique latine, ont inscrit dans leur constitution la protection des terres ancestrales des peuples autochtones.
La mise en place de systèmes d’enregistrement des droits fonciers adaptés aux réalités locales est cruciale. Ces systèmes doivent prendre en compte les droits coutumiers et les modes de gestion collective des terres. Le Mozambique et le Botswana ont par exemple développé des modèles innovants de reconnaissance des droits fonciers communautaires.
Les lois sur l’expropriation doivent être encadrées pour éviter les abus. Elles doivent prévoir une juste indemnisation et des procédures de consultation des communautés affectées. La Tanzanie a ainsi réformé sa législation pour renforcer les droits des villageois face aux projets d’investissement.
Le rôle de la société civile et des mouvements sociaux
Les organisations de la société civile jouent un rôle crucial dans la défense des droits fonciers des communautés. Elles apportent un soutien juridique aux populations affectées, documentent les cas d’accaparement des terres et mènent des actions de plaidoyer auprès des autorités.
Des mouvements paysans comme La Via Campesina se mobilisent au niveau international pour promouvoir la souveraineté alimentaire et défendre les droits des petits agriculteurs. Ils ont contribué à l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans en 2018, qui reconnaît explicitement le droit à la terre.
Les communautés autochtones s’organisent pour cartographier leurs territoires traditionnels et revendiquer leur reconnaissance légale. En Indonésie, le mouvement AMAN a obtenu une décision historique de la Cour constitutionnelle reconnaissant les droits fonciers des peuples autochtones.
Les recours judiciaires et quasi-judiciaires
Les tribunaux nationaux sont de plus en plus saisis de litiges fonciers impliquant des communautés. En Ouganda, la Haute Cour a ordonné l’arrêt d’expulsions massives de villageois au profit d’une plantation de café. Au Cambodge, des communautés ont obtenu l’annulation de concessions accordées à des entreprises sucrières.
Au niveau régional, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a rendu plusieurs décisions importantes sur les droits fonciers des peuples autochtones. Dans l’affaire Ogiek contre Kenya, elle a reconnu le droit de cette communauté à ses terres ancestrales dans la forêt de Mau.
Les mécanismes de plainte des institutions financières internationales offrent une autre voie de recours. Le Panel d’inspection de la Banque mondiale a ainsi enquêté sur plusieurs projets accusés de violer les droits fonciers des communautés locales.
Vers une gouvernance foncière plus équitable
La lutte contre l’accaparement des terres passe par une réforme de la gouvernance foncière. Cela implique de renforcer la participation des communautés dans les décisions qui les concernent et de promouvoir des modèles de développement respectueux des droits humains.
Les investisseurs ont un rôle à jouer en adoptant des pratiques responsables. Des initiatives comme les Principes pour un investissement responsable dans l’agriculture visent à promouvoir des investissements qui respectent les droits fonciers et bénéficient aux communautés locales.
La coopération internationale est essentielle pour lutter contre l’accaparement des terres. Les bailleurs de fonds peuvent conditionner leur aide au respect des droits fonciers. La Commission européenne a ainsi adopté des lignes directrices pour prévenir l’accaparement des terres dans ses projets de développement.
La protection juridique des communautés face à l’accaparement des terres est un défi complexe qui nécessite une approche multidimensionnelle. Elle passe par le renforcement du cadre juridique international et national, la mobilisation de la société civile, et la mise en place de mécanismes de recours efficaces. Seule une gouvernance foncière équitable et participative permettra de garantir les droits des communautés sur leurs terres et leurs ressources.